Ce vendredi 17 novembre à Paris a eu lieu la 18e édition du Festival CinéBanlieue. Créé par Aurélie Cardin et son association Extra-Muros en 2004, le festival fait aujourd’hui salle comble. C’est une ode aux quartiers populaires, qui s'expriment à l’écran avec une verve et une créativité savoureuses. Les scénarios rivalisent d'originalité, mais ce soir, seuls les meilleurs seront primés.
Article de Radidja Cieslak
”Ta famille, ton histoire, ton crew, le public s’émerveille !” entonne le groupe de musique Trium Vira, devant une salle survoltée, où les bras s’agitent en rythme sur cette mélodie entêtante. Cette triade du refrain se retrouve à l’écran, où les films délivrent des récits personnels et intimes, mais aussi des narrations qui mettent en relief les histoires d’amour (Achar Ajraoui, La sirène se marie), d’amitié (Nora el Hourch, HLM Pussy), et les récits familiaux (Salomé Da Souza, Boucan). Mais pour parvenir à ces productions bien ficelés, il faut du temps, des moyens, des partenaires. C’est un travail de longue haleine. Et après ces efforts, tous attendent impatiemment l’annonce des prix. La cérémonie peut commencer.
La voix de ceux qu’on entend pas
“C’est CinéBanlieue mais ce n’est pas qu’au sujet des banlieues. On y voit des gens de Nantes, de Bordeaux, de Marseille… de tous les horizons”, explique Romain, membre de l’équipe du Festival. Les marges, ce ne sont pas que les banlieues franciliennes. Ce sont aussi les endroits oubliés, les espaces ruraux, précaires et ouvriers. C'est en ces lieux que Salomé Da Souza a voulu fixer son objectif pour son court-métrage Boucan : “Beaucoup de gens m’ont dit que mon film n’avait pas sa place dans ce Festival. Oui, il n’y a pas de noirs, d’arabes, de cité. Mais ce sont tout autant des gens qui sont invisibilisés, ceux de chez moi, dans le Gard. Ce sont des gens de la ruralité.” Elle remporte le grand prix CinéBanlieue 2023 pour son court-métrage, haut en couleurs, qui raconte une passion tumultueuse et interdite entre deux adolescents.
Les films veulent aussi briser l’image stigmatisante de ces banlieues et zones en marge. A l’écran, les récits pulvérisent les idées reçues. Azedine Kaseri, réalisateur, raconte avec humour ses premiers pas dans le cinéma : “La première fois que j’ai fait un rôle en tant que comédien en 2015, j’étais un terroriste. La seconde fois, j’ai joué le rôle d’un banlieusard alors que je viens des Ardennes. Très souvent on était cloisonnés à ce genre de rôles.” Finalement, il gagne ce soir le prix du studio Vidéo de poche pour son court-métrage Boussa, “un film qui donne le droit d’embrasser qui on veut, quand on veut”. Après avoir subi les stéréotypes, le réalisateur décide de les déconstruire dans son film.
Les films traitent également de discriminations, de classes sociales et de préjugés. Dans HLM Pusssy, Nora El Hourch fait le récit d’une amitié confrontée à la fracture sociale et au sexisme. C’est l’histoire d’Amina, qui vit dans un milieu favorisé, tandis que ses deux copines Zineb et Djeneba viennent des HLM. Lorsque les filles sont confrontées à une terrible injustice, une question se pose : est-ce plus dur de s’engager lorsque l’on vient des quartiers populaires ? Pour en avoir la réponse, il faut se rendre en salle dès le 6 mars, date de sortie du film.
Un festival qui déniche les talents
Le projet du Festival c’est d’accompagner les jeunes comédiens et aspirants réalisateurs. CinéBanlieue, ce sont avant tout des passionnés avec qui échanger. “Quand on écrit, on se sent souvent seul. Et là, j’ai trouvé une famille !” explique Achar Ajraoui, gagnant du prix SACD pour La sirène se marie. C’est aussi le moment de se constituer un réseau. De nombreuses personnalités du cinéma s’investissent dans le projet, comme Jamel Debbouze, invité d’honneur l’an dernier, ou encore Olivier Nakache qui animait une masterclass lors de cette édition. “Il y a des personnalités qui viennent, des acteurs, plein de réalisateurs”, explique Romain, membre de l’équipe du Festival. “C’est pour les réalisateurs qui n’ont pas pignon sur rue”, ajoute-t-il. Ils sont accompagnés, car réaliser n’est pas de tout repos. “Ce film (La sirène se marie, ndlr) représente quatre ans d’acharnement, d’incertitude et de stress.” Achar repart avec une dotation de 2000€ et beaucoup d’espoir, pour lui, pur autodidacte qui n’a “pas fait d’école”.
CinéBanlieue veut aussi apporter un soutien institutionnel et matériel aux aspirants cinéastes et acteurs. Anne Bouvier, présidente de l’ADAMI (Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes) et membre du jury rappelle aux réalisateurs et comédiens dans la salle : “On défend les droits des artistes interprètes, et on soutient les projets. N'hésitez pas à nous solliciter, nous avons des moyens financiers et juridiques pour vous aider.” D’ailleurs, les récompenses attribuées ce soir sont souvent des aides financières. Les prix CinéBanlieue et France Télévision sont tous deux une dotation de 20 000€, une somme qui permet de débuter un nouveau projet.
“Le public s’émerveille !”
Les applaudissements ne cessent pas dans la salle. C’est l’euphorie. “C’est la première fois que je viens”, raconte Emma. “Je trouve l'initiative incroyable, c’est tellement nécessaire de donner une voix à tout le monde.” Elle a beaucoup aimé Boucan, de Salomé Da Souza. “Les couleurs, les effets de contraste sont incroyables. On voit que chaque plan est travaillé, c’est très artistique.” Dans la salle, certains ont tellement aimé qu’ils reviennent, comme Mohammed qui était déjà là l’an passé. “Cette édition était super. CinéBanlieue c’est une bonne opportunité pour les jeunes cinéastes qui ne savent pas où commencer. Ils rencontrent des gens bienveillants qui les orientent.” Dans le public, il y a aussi Elisa qui passe le bac spécialisation cinéma, car ce monde la passionne : “J’ai adoré les représentations cette année. J’ai vu des films que je n’aurais jamais pensé voir avant.” C’est vrai que ces films ont un goût d’inédit. Ils surprennent, car ils montrent à l’écran de nouveaux visages et font porter de nouvelles voix.
Au total, 8 prix du Festival CinéBanlieue ont été attribués ce soir. Voir le Palmarès complet.
“Si la société allait aussi vite que nous, ça irait beaucoup mieux !” déclare Aurélie Cardin, la fondatrice du Festival. Ici, les projets émergent rapidement, portés par l'engouement de jeunes passionnés, et soutenus par un Festival ambitieux. “On ne laisse personne nous dire que ce n’est pas possible, et encore moins que ce n’est pas pour nous !” conclut Achar Ajraoui (La sirène se marie).
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