Mercredi 9 octobre, Le Moment a installé ses micros à l’Académie du Climat, pour une émission en public consacrée au lancement de Coop-Médias. Cette initiative veut redéfinir les équilibres dans le paysage médiatique français. En effet, cette coopérative a pour but de renforcer les finances des médias indépendants et de consolider leurs liens face à la concentration médiatique sous le contrôle de quelques milliardaires.
Par Nicolas Bigards
Réécoutez l'émission enregistrée dans les conditions du direct avec tous nos invités, présentée par Benjamin Mathieu, réalisée par Emmanuel de Miscault.
Une concentration médiatique inquiétante
Comme le rappelle la journaliste Paloma Moritz lors de sa prise de parole au micro du Moment, onze milliardaires représente 81 % des ventes de presses quotidiennes nationales, 95 % des hebdomadaires généralistes et la moitié des audiences télé et radio. Le groupe Bouygues fait autant d’audience que l’ensemble des chaînes du service public. Les Relay Presse dans les gares ferroviaire appartiennent à un seul diffuseur mettant en avant certains titres de presse ou de livres ou des unes de magazine très orientés idéologiquement. Pour Paloma Moritz, « il y a un projet politique de ces milliardaires, parce que investir dans les médias ne rapportent rien ».
Un mouvement de fond pour le pluralisme
Cependant, à côté de cela, la réponse des médias indépendants est réelle. On observe un foisonnement de médias indépendants, et l’audience pour ceux-ci est de plus en plus large. Un mouvement de fond qui va peut-être permettre de redonner un vrai souffle à l’information et contribuer au pluralisme de l’information qui sont au fondement de la démocratie.
L’enjeu, pour Agnès Rousseaux, alors directrice de Politis, est que « la presse indépendante devienne le cœur du système médiatique » et qu’au-delà de ce foisonnement, ils existent des initiatives qui renforcent l’écosystème des médias indépendants, avec des alliances, comme la création du syndicat de la presse indépendante qui réunit plusieurs centaines de médias indépendants, avec des aides comme la création du fonds pour une presse libre, ou bien encore avec la future Maison des médias libres qui vise à réunir des dizaines de rédactions de médias indépendants.
Les défis des médias indépendants
Mais les défis pour un média indépendant sont nombreux : Quel modèle économique peut-il être trouvé pour rémunérer ses journalistes ? Quelle gouvernance peut-on imaginer pour garantir sa liberté et son indépendance ? Il y a, là aussi, beaucoup d’expérimentations, de sources de financement très diversifiées (abonnements, dons, publicités, prestations, éducation aux médias…), de modèles juridiques et de gouvernances différents (association, coopérative…). Mais, comme le souligne Agnès Rousseaux, chacun « bricole » son modèle dans son coin, « même si les échanges d’expériences sont nombreux et qu’une véritable solidarité existe entre les médias indépendants ».
La naissance de Coop-Médias
Le lancement de Coop-Medias s’inscrit dans cette dynamique de coopération et d’alliance. L’idée de cette coopérative a germé au sein du collectif de transition citoyenne (CTC). Ce collectif a pour but de redonner les moyens d’actions aux citoyens et vise à se réapproprier les domaines essentiels de la vie collective et individuelle qui ont été peu à peu confisqués par la crise du système démocratique actuel.
Parmi ces domaines essentiels, il y a l’information. Pour Robin Saxod, coordinateur du collectif, « cela faisait sens pour le collectif de réfléchir à la manière dont le citoyen peut participer à la construction d’un paysage médiatique pluriel, indépendant, dynamique. Nous pensons que l’information et les médias sont un bien commun et que c’est trop important pour que cela soit dans les mains d’acteurs ou de groupes privés ».
L'engagement de l'ESS pour les médias
Le collectif est dans ce constat par des acteurs de l’économie sociale et solidaire, parmi lesquels Julien Noé, fondateur de plusieurs coopératives dans les secteurs clefs de notre société (Enercoop, Mobicoop, Télécoop, Windcoop), et Lucie Anizon, secrétaire générale de Coop Médias. Cette dernière explique au micro du Moment que l'idée de Coop-Médias est née du constat que les médias indépendants manquaient de temps, d'énergie ou de savoir-faire pour lever des fonds en capital et mutualiser leurs moyens. C’est donc pour répondre à ces enjeux - à la fois de financement, de gouvernance, de mutualisation de moyen - que le monde de l’ESS souhaite apporter son savoir-faire et son expertise.
L'impact potentiel sur la démocratie
Cependant, l’enjeu essentiel va peut-être bien au-delà des questions économiques ou organisationnelles. Les acteurs de l’ESS revendique depuis plus d’un siècle que la démocratie peut aussi s’inviter dans l’économie, que les décisions stratégiques peuvent être partagées au sein d’une entreprise, en partageant le capital, en introduisant de la non-lucrativité. Non seulement, le monde de l’ESS le revendique mais l’applique aussi au quotidien dans ses modes de gouvernance.
Tous ces modèles telles que les associations, les coopératives, les mutuelles, les fondations ont la propriété d’ouvrir des espaces à la délibération collective dans l’ordre économique.
Pour Benoît Hamon, président d’ESS France et secrétaire général de SINGA, cet aspect est absolument crucial. En effet, pour lui, « toute entreprise démocratique devient une entreprise forcément plus hospitalière à l’intérêt général, donc forcément plus hospitalière à la question des médias, à la liberté de la presse, à la liberté d’informer ». Il poursuit : « ESS France voit dans l’émergence de Coop-Medias l'une des innovations les plus intéressantes aujourd’hui. Avant tout parce qu’elle est nécessaire. Ce n’est pas un hasard qu’elle vienne de l’ESS. Il faut qu’on arrive maintenant à faire converger les moyens importants des acteurs de l’économie sociale et solidaire vers cette initiative-là ».
Une convergence d’intérêts…
Le monde de l’économie sociale et solidaire y voit aussi un certain intérêt. Selon Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, le mouvement associatif est largement sous-médiatisé. Pour autant, son apport est fondamental au sein de la société. Claire Thoury rappelle qu’il y a 1, 4 millions d’associations en France, 20 millions de bénévoles. "On pourrait vivre sans association, mais on vivrait moins bien. Car, c’est un espace d’engagement extrêmement puissant, un espace de liberté absolument essentiel et un modèle non lucratif. »
Toutefois, tout cela passe largement sous les radars des médias grand-public. Est-ce à dire que le monde de l’ESS attendrait un retour sur investissement ? Si les médias indépendants n’offrent pas forcément une grande rentabilité financière, ils pourraient cependant offrir des relais d’opinion nécessaire à une meilleure appréhension du public du poids représenté par ce secteur économique.
… ou une convergence des luttes ?
Et si, finalement, cette convergence des différents modèles économiques, de gouvernance et d’engagement citoyen entre les acteurs de l’ESS et le monde des médias indépendants permettait de peser politiquement sur un futur scrutin que beaucoup semble redouter, la présidentielle en 2027 ? Et si une des pistes possibles pour répondre à cette inquiétude serait de rappeler qu’un autre monde est possible, que non seulement ce monde est possible, mais qu’il existe, et qu’il existe au quotidien pour des millions de Françaises et de Français engagé.e.s tous les jours dans les scop, les scics, les coopératives, les associations. Que ce monde pèse socialement et économiquement à une échelle qu’on sait très bien mesurer aujourd’hui mais que l’on méconnaît, et qu'il peut donc peser politiquement ?
Renouer le dialogue entre citoyens et journalistes
Julia Cagé, économiste et professeure à Science-Po, rappelle au micro du Moment pourquoi nous avons à protéger le service public. « Quelle est l’une des premières cibles de l’extrême droite, et des Républicains, par ailleurs ? C’est le service public. Les partis politiques veulent privatiser le service public. Ils veulent le mettre sous la coupe de l'idéologie du Rassemblement national. Or, ce qui est inquiétant, c’est que la plupart des gens ne se préoccupent pas beaucoup des journalistes. Les journalistes, avec les politiques, font partie d’une des professions les moins aimées. Quand on les défend, souvent on le fait dans le vide."
Pourtant, c'est essentiel. "Les défendre, c'est défendre l’indépendance des médias, l’information, et les citoyens eux-mêmes." D'où l'intérêt, dit-elle, de soutenir Coop-Médias : "C'est l'idée de faire de tous les citoyens des acteurs centraux des médias et pas simplement des consommateurs passifs de l’information." Cette initiative, selon elle, offre l'opportunité de "recréer un lien entre les citoyens et les médias et notamment les médias indépendants qui peuvent réellement les informer ».
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