Diane Dupré la Tour, cofondatrice des Petites Cantines et porte-parole de l'opération Milliard a répondu à nos questions. "Si on utilisait ne serait-ce qu'un milliard d'euros pour financer l'innovation sociale, nous verrions notre santé démocratique et sociale s'améliorer avec des bonds de géant", explique-t-elle.
Propos recueillis par Nicolas Bigards
Le Moment : Comment percevez-vous l'impact de l'opération Milliard sur la transition écologique ?
Diane Dupré la Tour : Notre conviction est qu'il y a aujourd'hui assez d'argent en France pour réussir cette transition, mais que les fonds sont mal fléchés. Ils sont encore trop massivement alloués à des organisations au modèle prédateur. Et quand ils sont alloués à la transition, ils vont en général vers les projets technologiques.
A titre d'exemple, le plan France 2030 porté par le président de la République projette 54 milliards d'euros d'investissement pour soutenir l'innovation technologique, mais rien pour soutenir l'innovation sociale. Or ces innovations technologiques ne feront qu'empirer le problème par des effets de bord contre-productifs à moyen terme si nous ne les accompagnons pas d'une transformation profonde de notre mode de pensée et de nos interactions.
"L'opération Milliard permet de valoriser des organisations engagées dans la transition juste"
La bonne nouvelle, c'est que, sur les territoires, la créativité et le dynamisme citoyen sont réels. En France, la R&D sociale est là. Elle s'exerce dans les marges, elle s'appuie sur l'énergie et l'intelligence d'hommes et de femmes qui demandent plus de moyens financiers pour se développer. L'opération Milliard permet de valoriser ces organisations engagées dans la transition juste, de les relier sur le plan national et de renforcer leur capacité de coopération. Il ne s'agit pas de dépenser plus d'argent, mais de le dépenser mieux. BPI France a injecté 63 milliards d'euros dans l'économie française en 2023.
Si on utilisait ne serait-ce qu'un milliard d'euros pour financer l'innovation sociale, nous verrions notre santé démocratique et sociale s'améliorer avec des bonds de géant.
Quels sont les objectifs à court et long terme que vous espérez atteindre avec cette initiative ?
A court terme c'est très clair : relier entre elles les organisations de la transition juste, qu'elles soient fiers de leurs modèles, fières de leur utilité sociale. Sans elles, le pays ne tiendrait pas debout. Pour cela, nous les invitons à s'identifier et à faire connaître leurs besoins de financement, en répondant d'ici le 14 octobre au Grand Recueil, qui prend la forme d'un questionnaire en ligne. Plus de 700 organisations se sont déjà manifestées en quelques semaines : des associations, des coopératives, des entreprises ESS, des mutuelles... C'est la première fois qu'une initiative de ce type voit le jour en France.
Ensuite, il s'agit de construire ensemble la première thèse d'investissement élaborée à partir des territoires, et d'aller lever ce milliard d'euros auprès des fonds coopératifs, des acteurs privés et de la puissance publique : de quel type de fonds avons-nous besoin ? Comment ? Sur quel type de durée ? Selon quels mécanismes financiers ? Avec quels véhicules ? Y a-t-il des secteurs à financer prioritairement ? De nombreuses questions se posent.
Dans un pays jacobin comme la France, s'interroger de manière citoyenne, à partir des besoins remontés par les acteurs du terrain, c'est une première. Nous nous appuyons sur un conseil scientifique présidé par l'économiste Éloi Laurent pour construire ce laboratoire méthodologique. L'argent ne devient plus un lieu de compétition et d'affrontement, mais de coopération et de réenchantement.
"L'innovation sociale fait partie de la solution"
Quels défis pensez-vous que l'opération Milliard doit surmonter pour réussir ?
Le risque serait de tourner en rond, et de se retrouver face à un paquet de nœuds si imbriqués que c'est le serpent qui se mord la queue. Mais là encore, l'innovation sociale fait partie de la solution. Faire pivoter les systèmes, c'est justement ce que nous savons faire. Quand on fait confiance à l'intelligence collective, l'énergie citoyenne devient magique.
Cela tient au fait que quand on transforme les relations, c'est tout le système qui se transforme, sans violence et à une vitesse plus rapide que ce qu'on pourrait attendre. Cela demande aussi une excellente capacité d'analyse et de structuration. Au fond, l'opération Milliard réunit deux compétences : celle des architectes, capables de poser des fondations solides et durables, et celle des jardiniers, capables de cultiver un terreau favorable à la vie. Et quand on laisse la place au vivant, il se développe très vite.
Comment comptez-vous mobiliser un maximum de citoyens autour de cette initiative ?
L'opération Milliard réunit déjà une communauté de près de 2 000 membres. L'adhésion au mouvement est gratuite, et nous permet de constituer un fichier de personnes ressources mobilisables pour de petites actions ou de grandes contributions. Les curieux peuvent venir aux Cafés du Milliard, qui se tiennent en ligne, tous les premiers vendredis du mois. Dans 6 mois, la France sera maillée de près de 200 lieux physiques, qui seront des lieux ressources pour s'informer et rencontrer la communauté.
Une équipe est en place pour accueillir les nouveaux bénévoles et les aiguiller à partir d'un échange individualisé. En ce moment, nous cherchons en particulier des talents bénévoles sur les fonctions supports: expertise SI ou encore la gestion des connaissances...
Pour prendre RDV avec l'équipe Accueil des bénévoles, c'est par ici. Nous aimons dire qu'aucun citoyen, aucun territoire n'est au bout de son histoire. Pour réussir la transition, nous avons besoin de tout le monde.
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