La première édition de ce festival, qui se tenait le 9 septembre dans le nord de Paris, présentait des auteur.trice.s racisé.e.s et engagé.es dans des combats sociaux et culturels. Une contre-rentrée littéraire dans un univers qui laisse encore peu de place à ces nouvelles plumes.
Reportage à la maison de la conversation de Julie Tezkratt
Beau succès d'estime pour la première édition du festival Overbookées Read and Shine.
Crédit photo : Julie Tezkratt
En ce samedi irrespirable, devant le grand bâtiment blanc aux larges fenêtres de la maison de conversation, des bracelets violets sont distribués au public, une couleur rappelant la lutte féministe. En entrant, nous tombons sur un petit café. Il est rempli de personnes en vêtements décontractés. Une canicule sévit sur Paris avec des températures atteignant les 39 degrés à l'ombre. Déli, l'âme derrière l’événement, nous accueille avec un sourire radieux et une énergie contagieuse.
L’actualité culturelle est occupée par la rentrée littéraire 2023, mais est-ce qu’il est possible de proposer une autre rentrée littéraire ? La première édition du festival Overbookées Read and Shine est peut-être la réponse à cette question.
Dans la salle dédiée aux stands, c'est un festival de couleurs. On trouve un peu partout des livres abordant divers sujets aux couvertures rouges, violettes, bleues turquoises, mais aussi des poteries et des produits pour les cheveux bouclés et crépus. Une quinzaine d’artistes et créateurs se sont réunis, chacun avec son propre univers artistique : livre sur l’architecture pour Balogun Ola-Davies, recueil de poésie avec Hadidja Shona, ou encore critique du mannequinat avec Christelle Bakima Poundza.
Leur objectif commun est de partager leur art avec le public et de susciter la curiosité. Lou Eve, autrice de Sous les strates, assure : “C’est super rare, ce genre d’espace, d’avoir un bookclub qui n’est pas exclusivement blanc. C’est primordiale de laisser de la place aux autrices et auteurs racisé.e.s. » Le monde de la littérature ne brille pas par sa diversité d'auteur.trice.s racisé.e.s. Joohee Bourgain, autrice de l’essai L’adoption internationale, mythes et réalités, poursuit: “Le monde de l’édition et de la littérature, ça reste des milieux très blancs, bourgeois et masculins. Pour une fois, on a un événement fait par une femme noire et qui parle de thématiques diverses qu’on ne voit pas partout, comme le racisme, l’interculturalité, la misogynoir.”
Après les tables rondes, le public, plutôt jeune, se retrouve autour des stands et des artistes pour discuter, échanger, approfondir les thématiques abordées durant les conversations. Christelle Bakima Poundza, autrice de Corps noirs, apprécie cette première édition : “Écrire un livre, c’est un acte solitaire, donc c’est important de créer des événements pour discuter avec ses lecteurs et lectrices, mais aussi de parler avec les autres auteurs pour faire travailler notre créativité.”
Balogun Ola-Davies, auteur et illustrateur de BD, attend patiemment les lecteurs pour discuter de son œuvre [Ré]volte Face. Il apprécie particulièrement la partage avec les autres auteurs : “Le festival Overbookées est important, car chacun peut apporter de la force et de la légitimité pour créer, déclare-t-il. Mais c’est aussi un moyen de découvrir l’univers d'autres artistes.” Le festival est l'occasion de créer des liens, de partager des perspectives et de célébrer la richesse de la littérature.
L'affiche du festival à la maison de la conversation, dans le 18e arrondissement de Paris.
Tout au long de la journée, l'atmosphère est électrique. Les conversations sont animées, les rires résonnent et un sentiment de communauté règne. Une enseignante au lycée, la quarantaine, regarde l’œuvre de Balogun Ola-Davies et l'interpelle : “C’est fantastique ce que tu as fait, je vais montrer ça à mes collègues professeurs de géographie, ça va vraiment changer le regard des jeunes sur leur banlieue”, s'empresse-t-elle de déclarer à l'auteur, touché par ces paroles.
Overbookées est né sur Instagram en janvier 2021. Déli, amoureuse des livres, a créé ce qu'elle appelle "le safe space des fatigué.e.s de Cnews et de Tonton-raciste-misogyne-et-climatosceptique". Overbookées a été conçu comme un lieu pour parler de livres qui "renversent le monde", une initiative visant à mettre en lumière des profils et des initiatives souvent négligés.
Au fil de la pandémie, elle a pris conscience de l'ampleur de ces maux et a cherché des ouvrages qui, selon elle, "expriment le monde dans sa complexité, sans artifices ni compromis". Le compte Instagram Overbookées et son club de lecture sont créés pour explorer et remettre en question le monde qui nous entoure. Le festival "Read and Shine" poursuit cette mission sur scène. L'objectif est simple : réunir des auteurs, des artistes et des amateurs de littérature autour d'une tasse thé ou de bissap pour célébrer la puissance des mots.
Le programme du festival est riche et varié. Trois tables rondes passionnantes ont été organisées : "Les livres pour se retrouver - Quand Bookstagram crée des communautés 'empouvoirantes'", "L'auto-édition pour mieux se raconter", et "Les représentations des femmes noires dans les livres et ailleurs". Un atelier-conversation intitulé "Déconstruire les préjugés autour de l'immigration en France" a également été proposé. En plus de ces activités intellectuelles, des stands artistiques, des expositions et des séances de dédicaces ont permis au public de plonger encore plus profondément dans l'univers littéraire.
Le stand de la maison d’édition Anacaona créé par l’autrice et éditrice Paula Anacaona.
Le public est lui aussi enthousiaste, à l'idée de découvrir de nouveaux horizons littéraires. Trois amies, Gwen et Adèle, 34 ans, et Claire, 37 ans, font la queue pour prendre un rafraîchissement et discutent entre elles. Elles sont venues au festival sous le conseil de leur amie Adèle. Claire fait déjà partie d’un club de lecture et elle est venue pour “découvrir d’autres lectures” qu’elle n'a pas l’habitude de voir. “Ce n'est aussi pas un festival qu’on voit beaucoup” déclare la jeune femme.
La soirée se termine en beauté avec un DJ set. Déli, créatrice du compte Instagram et du festival Overbookées : “On a le droit de faire la fête, même si l’on parle de choses sérieuses, et même dans un contexte politico-médiatique anxiogène." Overbookées n'est pas seulement un lieu de débat intellectuel, c'est aussi un lieu de célébration et de fête, dans lequel tous et toutes peuvent se rassembler et célébrer la puissance de la littérature.
Bravo Déli, apparemment tu as réussi ton 1er festival, vous avez réussi. "Chapeau bas" ma belle. Longue vie à Overbookées Read and Shine.