Dans les contreforts sud du massif central, au coeur de vallées boisées, un petit collectif de citoyens se réuni tous les mois depuis un an et demi. A la lisière entre le Tarn et l’Hérault, au coeur du parc du Haut-Languedoc, c’est dans la salle municipale du village Brassac que se construit un nouvel horizon pour les forêts locales. Ici, le groupement forestier citoyen et écologique (GFCE) des Hauts-Bois, se structure peu à peu. Ensemble, ces habitants du sud du Tarn souhaitent se constituer en société civile pour acquérir et gérer collectivement des forêts, dans une optique d’action en faveur de la biodiversité et de la préservation des milieux forestiers.
Article et photos de Pauline Henry
Bérengère, la trentaine, a rejoint le collectif quelques mois après les premières réunions, ayant eu vent de l’enthousiasme que cela suscitait chez ses amis et ses voisins. Conteuse et plasticienne, elle avait déjà largement exploré le sujet des arbres et des forêts dans ses pratiques, et avait aussi envie de donner à son attrait pour la question une dimension plus pratique. Depuis lors, elle s’implique quasi-systématiquement dans les réunions mensuelles en assemblée générale, ainsi que dans des groupes de travail qui permettent la structuration du GFCE.
A l’origine de cette initiative, une association, Envol Vert, qui, faisant le constat d’une industrialisation de la filière bois locale, avec notamment le développement massif de plantations de résineux, a proposé de former et d’accompagner un collectif, afin de se réapproprier collectivement les questions forestières locales. En effet, les forêts sont aujourd’hui en grande majorité privées (à 75%) et fractionnées. Les propriétaires sont nombreux et possèdent parfois des parcelles minuscules, situées bien loin de chez eux. Ainsi, la solution de facilité réside dans le fait de confier l’entièreté de la gestion à des entreprises spécialisées, perdant ainsi la main sur le mode de gestion sylvicole. Les groupements forestiers citoyens constituent une alternative à ce mode de fonctionnement.
Malgré l’impulsion, l’accompagnement par l’animation et la formation des membres par l’association Envol Vert, ce qu’a apprécié Bérengère, c’est "la feuille blanche initiale. On pouvait à la fois définir collectivement notre fonctionnement et nos objectifs. Nous étions tous et toutes en défaveur d’une industrialisation de la forêt, il a fallu ensuite voir un mode de gestion qui pouvait nous rassembler : la gestion a couvert continu s’est avérée la plus pertinente." Ce mode de gestion forestière consiste en des prélèvements de bois réguliers (tous les 4 à 8 ans selon les lieux), afin de maintenir en permanence un couvert végétal sans coupe rase, ni renouvellement brutal. Les prélèvements de bois se font de manière à maximiser la diversité tout en essayant de produire du bois de qualité. C’est vers ce mode de gestion que souhaite tendre le futur groupement forestier des Hauts-Bois.
Une des propositions d’Envol Vert, c’est le fonctionnement de prises de décisions par sociocratie. Concrètement, cela donne des réunions assez inédites, où la parole circule par tour de parole et où chaque temps est ordonnancé : des ateliers pour faire émerger des idées, puis une proposition est amenée par un groupe de travail, un tour de clarification de la proposition, puis de ressenti, avant de faire des amendements, enfin le groupe retravaille si besoin est, avant qu’un dernier tour d’objection ait lieu, pour tomber d’accord collectivement. "C’est peut-être plus lent, mais c’est primordial comme mode d’accord, ça permet de dé-passionner les débats, d’aller plus loin dans les réflexions, et de prendre des décisions non clivantes", souligne Bérengère.
De cette manière, le collectif, qui compte une trentaine de personnes actives, a pu élaborer une charte, qui sert de ligne de conduite et de lieu de rassemblement pour les futurs membres du GFC. Arrêtée en novembre 2022, cette charte précise aussi les intentions du collectif sur le type de sylviculture que le collectif souhaite déployer sur ces terres : "Nous voulons acquérir des parcelles forestières, quel que soit leur état actuel, et agir selon les principes d’une sylviculture en faveur d’un couvert forestier permanent, de la diversité des essences et de la régénération naturelle. Nous veillons à la préservation des sols, de l’eau et des équilibres biologiques de la forêt, bénéfiques pour la vie. Nous permettons l’existence d’îlots en libre évolution (des espaces où le bois n'est pas prélevé, laissant l’écosystème s’autoréguler, ndlr)."
A l’heure actuelle, les statuts sont encore en cours de rédaction. Les processus sont longs du fait de la forme inédite que souhaite prendre le GFCE. En effet, après de nombreuses discussions, il a été convenu que des personnes ne pouvant pas investir financièrement dans le groupement pourraient néanmoins prendre part à gestion des forêts et aux prises de décision. "L’implication des citoyens peut se faire en dehors de toute action monétaire, ici nos décisions ne sont pas prises au prorata de l’argent investi. On a des droits de veto, mais on veille collectivement à ce qu’il n’y ai pas de confiscation des pouvoirs. Je suis confiante à ce sujet."
Ici point de dividende, on se rassemble pour avoir des moyens de rachat mais se qui compte, c’est l’attachement aux lieux, le fait de se sentir habitant. "L’interprétation du fait de se sentir habitant est à la libre interprétation de chacun, néanmoins, il faut savoir que prendre part à notre collectif demande une forte implication, et si des personnes sont intéressées par le fait de rejoindre un groupement forestier citoyen mais ne se retrouvent pas dans notre fonctionnement, on les re-dirige vers le RAF.»
Le RAF, c’est le réseau des alternatives forestières, il occupe une place décisive dans le fonctionnement du groupement. Ce réseau a mis en place une plateforme collaborative qui permet de partager les informations relatives à la création d’un groupement forestier citoyen. Les étapes sont explicitées, les groupements existant peuvent dialoguer ensemble, et échanger avec ceux en formation. Une à deux fois par an, des rencontres nationales ont lieu pour renforcer la dynamique du réseau et la solidarité entre les collectifs. "Ce réseau est primordial, il permet de voir la multiplicité des fonctionnements. Certains GFC ont des parts d’entrée à 10 000 € et génèrent des dividendes, certains permettent à des personnes très éloignées de prendre part au groupement, avec peu d’engagement dans la prise de décision. Mais ce qui nous rassemble, c’est la volonté de faire une sylviculture douce, qui respecte le fonctionnement des écosystèmes. En 2022, les rencontres se sont déroulées à Brassac, et il y avait un atelier sur les questions à se poser avec de créer un GFC. C’était une véritable aubaine pour nous et cela nous a permis d’acter notre volonté de créer un groupement forestier."
Le collectif compte aujourd’hui un peu moins de 30 personnes actives, et une centaine de personnes reçoivent les nouvelles de ses avancées. S’il est aujourd’hui prêt à se constituer officiellement en société civile, quelques points juridiques, concernant notamment l’implication de l’association Envol Vert, restent encore à résoudre. En attendant, les membres continuent de se former et commencent à prospecter des terrains à acquérir. Cette jolie aventure humaine pourra bientôt se poursuivre dans les bois !
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