VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES. Une enquête de France 2 a remis en lumière les accusations de violences sexuelles à l'encontre Gérard Depardieu. L’acteur a fait l’objet d’une grande vague de soutien, notamment du chef de l’État, mais aussi déclenché une indignation d’une partie du cinéma français. Dont Judith Godrèche, qui révèle le nom du réalisateur avec qui elle a eu une relation dans les années 1980, alors qu’elle n’avait que 14 ans.
Article par Dorian Lacour
Capture d'écran du compte Instagram de Judith Godrèche
Une story Instagram. C’est ainsi que Judith Godrèche, actrice, scénariste et réalisatrice française, révèle le nom de l’homme avec qui elle a eu une relation dans les années 1980, alors qu’elle avait 14 ans. Lui, était âgé de 40 ans. La relation entre les deux n’était pas cachée, mais jamais les notions de consentement ni d’atteinte sexuelle sur mineure n’ont été mentionnées. « La petite fille en moi ne peut plus taire ce nom », lâche la comédienne, samedi 6 janvier, rendant par là même son compte public. Et dans la story suivante, le nom du réalisateur apparaît : « Il s’appelle Benoît Jacquot. »
Judith Godrèche s’est toujours refusée à nommer le cinéaste, craignant que « le sujet disparaisse derrière un nom », écrit-elle encore sur Instagram. Même si sa série d’autofiction Icon of French Cinema - diffusée sur Arte en décembre dernier - dépeint la misogynie du cinéma français, notamment cet épisode de sa jeunesse, Judith Godrèche n’a jamais affiché publiquement Benoît Jacquot. C’est une archive vidéo reçue par l’actrice qui la fait changer d’avis.
Archives accablantes
Dans celle-ci, datée de 2011 et issue du documentaire Les ruses du désir : L’interdit réalisé par Gérard Miller, Benoît Jacquot est interrogé. Notamment sur sa relation avec la jeune Judith Godrèche. « Une fille comme elle, comme cette Judith, qui avait en effet 15 ans (l’actrice affirme, elle, qu’elle en avait 14), […] et moi 40, en principe je n’avais pas le droit. Je ne crois pas. Mais ça alors elle n’en avait rien à foutre, et même, elle, ça l’excitait beaucoup », sourit le réalisateur. Des propos qui ont poussé l’actrice à réagir publiquement, ouvrant son compte Instagram. « Non Benoît Jacquot, une fille comme elle avait 14 ans. Et non, non, ça l’excitait pas », rétorque Judith Godrèche dans une autre story, ayant pour fond l’extrait vidéo en question.
Sur le compte Instagram de l’actrice, les réactions pleuvent. Dans les commentaires de ses posts déjà. « Ce n’est pas simple de se retourner sur son passé », écrit la journaliste Elsa Wolinski. « Merci à toi pour ta force », poursuit la danseuse et comédienne Andréa Bescond, célèbre sur le réseau social pour ses “posts noirs” décrivant les violences subies par les femmes et les enfants. En stories, ensuite. « Soutien à Judith Godrèche », claironne l’Association Des Acteur.ices. « Bienvenue parmi les femmes qui s’émancipent en dénonçant leur bourreau ! », félicite l’autrice Florence Porcel, en outre plaignante contre Patrick Poivre d’Arvor. L’actrice Aude Gogny-Goubert fait aussi part de sa solidarité :
« Soutien inconditionnel à Judith Godrèche dont la prise de parole est courageuse et salutaire. En le faisant, elle aide beaucoup de femmes. Cela l’honore. »
L'une des très nombreuses réactions de soutien suite au message de Judith Godrèche sur Instagram
La prise de parole de Judith Godrèche - qui précise avoir peur « de ne plus travailler, de ne pas être soutenue » - laisse songeur à la relecture d’un entretien accordé par Benoît Jacquot au Journal du Dimanche en octobre 2010, pour la promotion de son film Au fond des bois. « La question de l’emprise et du consentement, de ce qu’on veut ou pas, ou de ce qu’on ne veut pas malgré ce qu’on veut, m’a intéressé de film en film », déclarait le réalisateur.ion
#MeToo et cinéma français
Pour replacer l’événement dans son contexte, la révélation de Judith Godrèche arrive alors que les dénonciations des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans le cinéma français se font de plus en plus nombreuses. La diffusion de l’émission d’investigation Complément d’enquête relayant les accusations de viols et violences sexuelles envers Gérard Depardieu, début décembre 2023, sur France 2, met le feu aux poudres. Une enquête de Mediapart datée d’avril 2023 avait déjà mis en lumière ces accusations.
Une succession de tribunes a ensuite occupé l’espace médiatique dans le temps des fêtes, accaparant - presque - toutes les discussions, de l’apéritif à la bûche. Lundi 25 décembre, une soixantaine de personnalités du cinéma - dont beaucoup se sont depuis désolidarisées - publie une tribune intitulée « N’effacez pas Gérard Depardieu » dans Le Figaro.
Peu avant, c’est le président de la République lui-même qui assurait son soutien à l’acteur, dans l’émission C à vous sur France 5, mercredi 20 décembre. « Moi, je suis un grand admirateur de Gérard Depardieu […] Il a fait connaître la France, nos grands auteurs, nos grands personnages, dans le monde entier. Et je lui dis en tant que président de la République mais aussi en tant que citoyen : il rend fière la France », affirme Emmanuel Macron, estomaquant nombre de mouvements féministes.
"Je lui dis en tant que président de la République mais aussi en tant que citoyen : il rend fière la France" Emmanuel Macron à propos de Gérard Depardieu
Réponse(s) féministe(s)
En réponse au chef de l’État, une tribune signée par plus de 7 200 personnes, et portée par l’association #MeTooMedia paraît dans Le Monde, le 27 décembre. Elle dénonce les propos du président. « Vous confortez les préjugés sexistes en faisant de l’agresseur la victime qu’on doit laisser tranquille (et son génie avec). Les réelles victimes sont renvoyées à leur souffrance, au déni de la société, au silence, à une justice qui condamne exceptionnellement les violeurs », peut-on y lire.
Deux autres tribunes suivent, l’une sur Le Club de Mediapart - signée entre autres par Pomme, Lala &ce, Médine ou Waly Dia - et l’autre dans Libération - avec les signatures d’Alexandra Lamy, Lio, Cœur de pirate, Guillaume Meurice… - pour dénoncer celle du Figaro. Artistes et anonymes s'écharpent pour défendre, ou accuser, Gérard Depardieu. La prise de parole de Judith Godrèche, elle, a été saluée bien au-delà des cercles féministes. Sa série Icon of French Cinema rencontre un beau succès d’estime.
Samuel Theis, accusé de viol par un technicien du film Je le jure, comme le relate le journal Libération (et que conteste le réalisateur), a ainsi été mis à l’isolement lors de la fin du tournage de son propre film. Il doit ainsi prévenir les équipes du film - dont la production avancée empêche de l’annuler le temps que le volet judiciaire se règle - lorsqu’il vient en plateau. Ainsi, les personnes ne souhaitant pas travailler en sa présence peuvent s’absenter. C’est un début et une prise en compte de la parole des victimes dans le monde du cinéma.
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