Julia Cagé : "Nous avons besoin de médias indépendants au niveau local"
- impactslemoment
- il y a 15 heures
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Alors que l’indépendance des médias est mise à mal et que la défiance envers l’information ne cesse de croître, Un Bout des Médias organise sa première Université de Printemps. Une semaine pour penser les médias de demain, reconnecter journalistes et citoyens, et défendre l’information comme bien public. Dans cet entretien, son initiatrice, Julia Cagé, économiste, revient sur les enjeux démocratiques de cet événement, les limites des dispositifs actuels de soutien à la presse, et l’importance cruciale de soutenir aussi les médias locaux, indépendants et ancrés dans les territoires.
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L'Université de Printemps d'Un Bout des Médias propose une semaine pour "penser les médias de demain". Est-ce l'occasion de sensibiliser le grand public aux réflexions portées par UBDM, ou plutôt une opportunité pour rassembler des professionnels de la presse indépendante et peut-être faire émerger des coopérations ?
Il s'agit pour nous avant tout de sensibiliser le grand public aux questions d'indépendance des médias, car il s'agit d'une question fondamentale et que les attaques répétées contre l'indépendance des journalistes font peser un risque sur la qualité du débat public et de nos institutions démocratiques. Je pense qu'il est urgent d'expliquer pourquoi défendre les médias et les journalistes, ce n'est pas simplement - ni même avant tout - défendre une profession, mais c'est nous défendre nous-mêmes, citoyens, qui avons besoin d'être informés au mieux.
Bien sûr c'est aussi l'occasion de rassembler des professionnels de la presse indépendante, mais avec cet objectif de les faire venir à la rencontre du grand public.
Vous entendez y discuter des "défis et opportunités à venir dans l'univers journalistique". Quelle est selon vous l'opportunité principale que les médias indépendants pourraient saisir ?
De reconstruire un véritable lien de confiance avec les citoyens/lecteurs. Aujourd'hui, les institutions sont partout attaquées, de la justice aux médias libres. Mais je pense que les excès états-uniens nous font nous interroger sur tout ce qu'il nous faut défendre de ce côté-ci de l'Atlantique. Nous sommes à un moment historique où il faut rappeler - et c'est une opportunité pour les médias importants - la nécessité d'une information libre et indépendante.
On observe, auprès des différents leviers de financement des médias indépendants, une tendance à favoriser les titres à forte audience. Cette approche permet-elle selon vous de solidifier les acteurs majeurs pour qu'ils puissent faire face à la presse mainstream ? N'est-ce pas finalement une reproduction à plus petite échelle de la concentration reprochée aux médias en général ?
Il est évident qu'il ne faut pas s'interdire d'interroger les formes actuelles du soutien public aux médias, qui ne sont pas parfaites. Mais je veux pour commencer rappeler une chose essentielle : l'information est un bien public, et ce bien public doit être financé en partie avec de l'argent public. Je pense qu'il est important de le dire - et de le répéter - parce que nous avons besoin d'aides à la presse et aux médias indépendants, tout comme nous avons besoin par ailleurs d'un audiovisuel public indépendant et suffisamment financé.
Une fois que l'on a dit cela, il est certain que les formes actuelles des aides à la presse posent plusieurs problèmes. De fait, par construction, des aides basées principalement sur une TVA à taux réduite ou pour les médias papiers sur des tarifs postaux préférentiels favorisent ceux des médias qui ont l'audience la plus forte. Or il faut favoriser le pluralisme de la presse.
Je suis personnellement en faveur d'une "décentralisation" de ces aides en utilisant les mêmes montants (ou davantage !) qu'actuellement, mais en donnant à chaque citoyen l'opportunité d'allouer ces aides à la presse aux médias de son choix, à travers un système de "bons pour l'indépendance des médias" que nous défendons par exemple avec Benoît Huet dans notre livre L'information est un bien public.
Comment analysez-vous le fait que les médias indépendants les plus visibles soient très majoritairement parisiens ? (peut-être à l'exception de Médiacités mais qui reste proche des grandes métropoles)
J'allais justement citer Médiacités ! On pourrait également mentionner Marsactu (à l'actionnariat duquel Un Bout des Médias est par ailleurs entré). La problématique est la même que pour la presse papier : les médias que vous appelez "parisiens" sont de fait avant tout des médias "nationaux" qui de ce fait bénéficient tout à la fois d'un marché plus large qui leur garantit plus de recettes et donc de ressources, et de plus de visibilité. Mais il est évident qu'il ne faut pas s'en satisfaire, et que garantir le pluralisme des médias devrait également signifier garantir une plus grande diversité géographique des rédactions. Je pense que cela pourrait être le cas avec les "bons pour l'indépendance des médias".
Dans ce que vous appelez "les médias de demain", quelle place doivent occuper les petits médias indépendants locaux, dont les audiences sont plus faibles mais qui maillent un espace beaucoup plus large ? Comment évaluez-leur contribution aux débats démocratiques nationaux à travers leur ancrage territorial ?
Ils doivent occuper une place grandissante ! Nous avons besoin de médias indépendants, notamment d'investigation, au niveau local. Ils sont indispensables pour lutter par exemple contre la corruption. Et c'est l'une des choses pour lesquelles nous nous battons à Un Bout des Médias !
Julia Cagé est Professeure d'Economie à SciencesPo et Présidente de l'association Un Bout des Médias (unboutdesmedias.org)
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