Depuis les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre dernier et la réponse militaire d'Israël sur Gaza, le débat politique français s'est particulièrement crispé. Chacun est sommé de choisir son camp au risque, dans le cas contraire, d'être accusé de complaisances. Mais des espaces de dialogue sont encore possibles. Entretiens croisés.
Article par Benjamin Mathieu
Des gazouis au marché dans la bande de Gaza, profitant du cessez-le feu, le 30 novembre 2023 . Crédit photos AFP
Le 7 octobre dernier et les attaques terroristes du Hamas contre Israël ont bouleversé le monde et ont fait 1 200 morts, selon les autorités israéliennes, majoritairement des civils - sans compter les 240 otages. La réponse militaire israélienne, qui ne fait guère de différence entre combattants militaires et civils gazaouis, émeut tout autant. Selon l’UNICEF, en un peu plus d’un mois, 11 180 personnes sont mortes à Gaza (à la mi-novembre), dont 4 609 enfants et plus de 3 000 femmes. L’ONG Médecins du monde décrit la situation à Gaza comme “apocalyptique, catastrophique, tragique”. La fragile trêve et les échanges d'otages débutés le 25 novembre font espérer que des discussions pourraient s'engager pour un véritable cessez-le-feu, mais celui-ci parait encore bien lointain.
Rien ne semble pouvoir arrêter cette inhumanité. Et comme à chaque nouvelle flambée de violence au Proche-Orient, le conflit s’importe en France, enflamme aussi les médias et les débats. Le ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé une montée significative des actes antisémites en France, au point qu'une manifestation, “Pour la République et contre les actes antisémites”, a été organisée dimanche 12 novembre à l'initiative de la présidente de l'Assemblée nationale et du son homologue du Sénat. Plus de 100 000 personnes ont manifesté à Paris, un record. Dans le cortège, et c’est une première depuis la Seconde Guerre mondiale, il y avait une délégation du Rassemblement national et de Reconquête. En cette période de grande tension, où il est compliqué parfois de se positionner car “il faut choisir son camp”, la question du dialogue entre les communautés ressurgit donc.
"C'est un peu comme si on était aspirés par un vortex, on est tous pris dans une vision manichéenne des évènements où on doit obligatoirement se positionner pour un camp", analyse Rafael Tyszblat, facilitateur de dialogue inter-identitaire. Le président de l’association Connecting action poursuit : "Dés qu'on ose exprimer un peu d'empathie à un moment donné vers l'un des deux camps, on a immédiatement une nuée de remarques et d'attaques - on nous dit : 'Mais l'autre camp, alors, lui aussi, il est victime !'. On n'est en plus pas aidés par les discours publics, les dirigeants, les médias qui essayent de définir qui est le bien et le mal absolu. Cela n'aide pas à la nuance, ni à la compréhension entre nous."
Le fondateur du podcast "Anti-clash" se rassure néanmoins d'entendre des discours d'apaisement, comme celui portée par Hanna Assouline : "Je suis inquiet, mais certains discours arrivent tout de même à se frayer un chemin comme celui de la fondatrice du mouvement Guerrières de la Paix et du Forum mondial des femmes pour la paix. Elle dit qu'on n'assiste pas à un conflit entre les Israéliens et les Palestiniens mais entre les extrémistes de deux bords."
D'autres, comme les ONG spécialisées dans le droit international et humanitaire pensent que cette voix peut justement aider à recentrer le débat sur les questions essentielles : "Nous, face à cette polarisation, essayons de mettre le droit international au centre du jeu, le respect des droits de l'Homme, du droit humanitaire, des droits universels qui devraient mettre tout le monde d'accord", commente Pierre Motin, responsable plaidoyer de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine. Un droit international allègrement bafoué sur le terrains par les deux partis.
La multiplication des actes antisémites depuis début octobre en France est en tout cas particulièrement inquiétant. "Moi, cela fait 50 ans que je suis ce qu'il se passe entre la Palestine et Israël pour la Ligue des droits de l'Homme. Je connais plein de Palestiniens et d'Israéliens qui vivent là-bas. Tout ça ne m'étonne pas, car ça faisait longtemps que cela montait, au moins depuis les années 2000, cette confusion totale entre ce qu'on appelle le conflit israélo-palestinien et la question de l'antisémitisme", analyse Fabienne Messica, sociologue spécialiste de l’éducation et membre du collectif Golem. "C'est effectivement inquiétant à droite, mais ça concerne aussi la gauche", poursuit-elle. Mais pour la sociologue de confession juive qui a participé à la tentative de “cordon sanitaire” entre les élus du Rassemblement national et les manifestants, dimanche 12 novembre, il n'y a pas a tergiverser : "Je me suis réveillée juive le 7 octobre et palestinienne le 10. On peut être horrifié par ce qui a été commis contre des Israéliens et être aussi horrifié par une réponse militaire qui touche des civils en masse. C'est tout à fait compatible. C'est ce que nous sommes en tant que juifs de gauche au sein de Golem."
"C'était un choix cornélien pour moi, d'aller ou non au rassemblement du 12 novembre", explique Samuel Grzybowski, fondateur de l'association Coexister et actuellement directeur général de Oasis 21, dans un propos beaucoup plus politique et polémique. "Mais j'ai choisi de m'y rendre en raison de l'empathie que j'ai senti, notamment dans les discussions que j'ai eu avec mes amis juifs qui me demandaient de venir. Je me rappelle avoir manifesté en 2002 avec la couverture de Libération qui disait "NON" à Jean-Marie Le Pen, j'avais dix ans. Les jeunes de 18 ans aujourd'hui vont retenir l'inverse, que l'extrême droite fait partie du panorama démocratique de la France, et cette responsabilité n'incombe qu'à Emmanuel Macron", conclut-il, en omettant de préciser que des membres de la majorité ont officiellement marqué leur distance avec la présence du RN. Stephane Sejourné, le patron de Renaissance, a évoqué une tentative de "blanchiment de passé antisémite", opéré par le Rassemblement national depuis un mois, et appelle les organisateurs de la manifestation à ne pas se faire "les complices de la banalisation d’un parti fondé par des antisémites".
Le débat politique n'est pas seul responsable des difficultés d'écoute entre les uns et les autres, la sémantique aussi à un rôle important. "Ce qui pose problème dans le dialogue national, c'est qu'il est pollué par le discours des élites, relayés par les médias puis ré-amplifié par les réseaux sociaux. Il y a en plus une forme de clientélisme politique qui n'aide pas à la nuance", renchérit Rafael Tyszblat. "Il faut aussi prendre le temps d'analyser les termes. Il n'y a par exemple pas de consensus sur la définition du mot 'sionisme'. Souvent, les gens n'y mettent absolument pas le même sens. C'est la même chose avec la qualification de terrorisme".
L'Agence France-Presse a d'ailleurs suscité une importante controverse quand elle a expliqué pourquoi elle n'utilisait pas ce terme pour évoquer le Hamas. "Conformément à sa mission de rapporter les faits sans porter de jugement, l’AFP ne qualifie pas des mouvements, groupes ou individus de terroristes sans attribuer directement l’utilisation de ce mot ou sans utiliser des guillemets", précise l'agence dans un communiqué, qui a été particulièrement commenté.
Rafael Tyszblat veut néanmoins croire dans les vertus du dialogue et des espaces de rencontre : "Je me suis rendu compte qu'à chaque fois que les positions des personnes qui participent à mes ateliers de dialogue changeaient, c'était grâce à des histoires personnelles qui ont fait que les intolérances ou préjugés qu'il pouvait y avoir au départ on pu être dépassés." Reste que ces espaces de dialogue sont rares et peu médiatisés.
Pour réécouter l'ensemble de l'émission, c'est par ici :
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