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Photo du rédacteurNicolas Bigards

L'Onde de Coop : initiatives citoyennes à protéger

Le Festival L’Onde de Coop, qui s’est déroulé les 11 et 12 septembre à l’Académie du Climat à Paris, a offert une petite parenthèse enchantée dans une période où un sentiment de confiscation de l’action citoyenne et une impression de déni démocratique se font plus prégnants que jamais.





Nicolas Bigards


L'Onde de Coop est un festival unique en son genre, rassemblant chaque année des coopératives et des militant.e.s engagé.e.s dans la transition écologique et sociale. Organisé par Les Licoornes, un collectif de coopératives telles que Enercoop, Mobicoop et La Nef, l'événement met en lumière les initiatives innovantes et les pratiques durables qui façonnent un avenir plus juste et résilient.

Pour cette édition 2024, le festival, qui a rassemblé plus de 650 acteur.ice.s du monde de l’économie sociale et solidaire, s’est concentré sur le thème des « imaginaires », explorant la manière dont les récits et les visions de la société peuvent être transformés pour soutenir une transition écologique efficace.


La coopérative : (re)donner le pouvoir aux citoyens ?


En septembre 2022, dans une tribune du Monde, neuf dirigeant.e.s de coopératives plaidaient pour un renforcement du financement des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Les signataires, que l’on a retrouvés pour la plupart à L’Onde de Coop, soulignaient que les levées de fonds massives des start-up technologiques et l'engouement médiatique et politique qu'elles suscitaient reflètent les priorités actuelles de l'économie, axées sur des solutions de paiement fractionné, la spéculation sur les cryptomonnaies et la publicité en ligne, alors que ces priorités sont déconnectées des réalités sociales et écologiques. Pourtant, face à l'urgence climatique, il est essentiel de promouvoir un modèle économique responsable et démocratique, en redonnant aux citoyens le contrôle sur les orientations économiques.


Les démarches citoyennes, souvent incarnées par des sociétés coopératives d'intérêt collectif, jouent un rôle crucial dans cette transition. Ces coopératives, actives dans des secteurs clés comme l'alimentation, l'énergie, la mobilité, les télécommunications, la finance et les achats de seconde main, ont démontré la viabilité d'un système économique démocratique.


Cependant, pour que ces initiatives puissent se développer, un soutien public accru et des incitations fiscales pour les investissements citoyens sont nécessaires. Contrairement aux start-up traditionnelles, les coopératives reçoivent peu de soutien des fonds d'investissement en raison de leur lucrativité limitée et de leur fonctionnement démocratique.


Les auteurs de la tribune, représentant.e.s des coopératives réunies dans l'alliance des Licoornes, appelaient donc à renforcer le financement citoyen pour permettre à ces initiatives de rivaliser avec les entreprises capitalistes. Ils plaidaient pour une transformation économique radicale où les citoyens ont le pouvoir de « construire des solutions innovantes et de partager équitablement les richesses produites », rétablissant ainsi un lien actif avec le monde réel et une économie plus juste.


Le gouvernement et l'économie sociale et solidaire : Entre promesses et réalités


Malgré la loi PACTE de 2019 , dont l’un des piliers est de remettre les enjeux sociaux et environnementaux au cœur des préoccupations des entreprises, et même si les différents gouvernements depuis ont pu avoir pour certains des secrétariats d’État consacrés « l’économie sociale, solidaire et responsable », on s’est plus souvent occupé de la promotion d’un « capitalisme responsable » que de donner de véritables leviers pour développer et soutenir le monde de l’économie sociale et solidaire.


Car, bien que les exemples de structures « responsables » dans lesquelles les ressources humaines et financières sont d’abord tournées vers la qualité de services et la contribution à l’intérêt général, force est de constater que l’ESS n’a connu aucune avancée notable.


Un impact non négligeable


L'économie sociale et solidaire (ESS) représente pourtant une réalité démographique et économique tout à fait concrète. Son périmètre, qui réunit associations, coopératives, mutuelles, fondations et structures commerciales « d’utilité sociale », est estimé à presque 10 % du produit intérieur brut et à 15 % des emplois en France.


Et les coopératives en prennent une large part. En 2023, le mouvement coopératif en France a continué de montrer sa robustesse et sa croissance, selon la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire des Pays de la Loire. En France, on compte 22 410 entreprises coopératives françaises, filiales comprises.

Ces coopératives représentent 4,8 % de l’emploi salarié en France, avec 1,3 million de salariés, avec une augmentation des effectifs de 5 % pour les Scic et de 2 % pour les Scop par rapport à l'année précédente. Leur chiffre d'affaires cumulé atteint 381 milliards d’euros, marquant une croissance de 10 % par rapport à 2022.


Le taux de pérennité à 5 ans des coopératives est de 79 %, contre 61 % pour l'ensemble des entreprises françaises, démontrant ainsi leur stabilité et leur résilience. Les services représentent le secteur le plus dominant, avec 40 % des coopératives et 36 % des effectifs, tandis que les secteurs de la construction et de l'industrie suivent en matière de concentration des coopératives et du chiffre d'affaires.


Ces chiffres montrent l'importance et l'impact positif des coopératives sur l'économie française, contribuant non seulement à la création d'emplois mais aussi à une croissance durable et stable dans divers secteurs économiques.


S’unir pour transformer radicalement l’économie


Mais au-delà des chiffres, ce sont des réalités qui incarnent au quotidien une transition vers le modèle coopératif. C’est dans cette logique que se crée le Festival L’Onde de Coop. Les Licoornes, c'est un regroupement de coopératives qui ont décidé de s’unir en mutualisant leurs forces, en partageant leurs expériences afin de transformer l’économie, de modifier les perceptions, de changer les imaginaires.


Elles cherchent à démontrer par les actes qu’un autre modèle d’entreprise existe : coopératif, à sociétariat multiple et au service du développement et de la cohésion des territoires. Pour les Licoornes, ce modèle doit se développer pour bâtir une société plus juste, plus écologique et plus résiliente. 


Des projets à la fois inspirants et concrets 


Le temps de ce festival, les acteur.ice.s du monde de l’ESS souhaitent rappeler toute l’importance du poids des « imaginaires » qui nous permettent de nous projeter vers un avenir plus enviable, plus supportable. Ainsi, au cours de l'atelier "Expérimentons une coopérative en 2040", le public explore les futurs possibles des structures coopératives, tandis qu'un autre, "Voyage en 2030 glorieuses", invite les participants à imaginer plus de scénarios positifs pour l'avenir.


Chahin Faiq, secrétaire général des Licoornes, glisse : « La coopérative, c’est le passage de l’imagination d’un modèle d’entreprise juste à sa réalisation concrète ! »


Ainsi, pendant la journée, des conférences démontrent l'impact concret des coopératives sur la transition écologique. L'événement ne se contente pas de discuter de théories ; il s'agit également de mettre en pratique des solutions. Les coopératives présentes partagent leurs expériences, montrant comment elles parviennent par exemple à réduire leur empreinte carbone, promouvoir l'économie circulaire, et encourager les énergies renouvelables.


Des tables rondes comme "Dépassons l’entreprise capitaliste pour construire un autre imaginaire de l’économie" et "Utilisons la fiction pour raconter nos imaginaires" visent à démontrer comment la créativité et l'innovation peuvent être mobilisées en vue de transformer les récits dominants et de promouvoir des modèles économiques plus durables.


Défis et opportunités pour réinventer les récits dominants


Justement, cette semaine encore, le rapport de Mario Draghi vantait la croissance économique comme facteur indispensable à la démocratie. Mais y a-t-il un monde soutenable sans que les notions de croissance ou d’investissement n’en soient les piliers ? Y a-t-il place pour d’autres solutions, d’autres récits ? C’est à ce vaste chantier que s’est attelé la 4e édition du Festival L’Onde de Coop. De nombreux acteurs de l’ESS formulent le vœu de déployer plus de moyens pour participer à l’émancipation de leurs publics sur les enjeux qu’elles traitent par la transformation des imaginaires.


Mais de quels outils peut-on, doit-on se doter pour permettre aux citoyen.ne.s de se réapproprier ces espaces imaginaires alternatifs? Dans les pistes envisagées, certaines offrent des perspectives riches et stimulantes, par exemple en s’inspirant des outils de l’éducation populaire que l’on pouvait découvrir lors de la rencontre « Mobilisons l’éducation populaire pour la transformation des imaginaires ». Or, les mises en œuvre proposées peuvent s’avérer plus complexes que prévu, tant les forces en présence semblent être hégémoniques et trouvent de puissants relais médiatiques.


Réinventer les médias pour une économie alternative


L’un des temps forts du festival fut la table ronde « Quels médias pour les imaginaires d’une autre économie ? » En ouverture de celle-ci, Agnès Rousseaux, journaliste et directrice de l’hebdomadaire Politis, rappelait en quelques chiffres le paysage médiatique français et notamment qu’une dizaine de milliardaires se partagent aujourd’hui 90 % de l’espace médiatique français et que 57 % des Français disent se méfier des médias. Les participant.e.s à cette table ronde représentant les médias Blast, L’âge de Faire, Vert ou bien CoopMédia, ne cachaient pas les difficultés qui sont les leurs aujourd’hui : comment répondre à la défiance des publics, comment faire entendre les initiatives citoyennes, comment combattre l’opacité de l’écosystème des médias, comment faire face aux difficultés financières, comment protéger ses sources, etc. ?


Mais toutes et tous sont tombés d’accord sur le fait que le modèle coopératif pouvait être une réponse plus que pertinente à ces difficultés. Le Festival L’Onde de Coop s'est avéré être une véritable bouffée d'oxygène dans un climat où la confiance citoyenne et la démocratie semblent être mises à rude épreuve. Les défis restent nombreux.


Le soutien public et les incitations fiscales demeurent insuffisants pour que les coopératives puissent rivaliser avec les entreprises capitalistes traditionnelles. Il est impératif que les politiques publiques reconnaissent et soutiennent davantage ces initiatives citoyennes. / Nicolas Bigards




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