Par Nicolas Bigards
Les secteurs associatif, de l’économie sociale et solidaire et des médias alternatifs sont souvent les parents pauvres en terme de financement. Leur poids et impact, notamment en terme d’emplois sont sous-évalués. Pour y remédier, l’Opération Milliard, lancée le 26 mars 2024, vise à lever des fonds pour financer ces secteurs, en totale indépendance.
L’Opération Milliard, qui a tenu son assemblée générale le 26 septembre 2024 à Romainville, ambitionne de rassembler un milliard d'euros pour financer des projets de transition écologique et sociale en France. Menée par Bastien Sibille, cofondateur de Mobicoop et des Licoornes, cette initiative cherche à transformer l'économie tout en respectant les principes de justice sociale et environnementale.
Un constat simple et pourtant peu d’action
Il est d’une évidence aujourd’hui que tout un secteur de l’économie, qu’on appelle l’économie sociale et solidaire entre autres, dispose de capacités d’action éprouvées pour mener à bien une transformation écologique équitable de l’économie. Ces capacités ont prouvé leur efficacité et déploient de véritable solutions sur les territoires, souvent sous la forme d’innovation sociale.
Dans le même temps, il y a une abondance de capitaux, dont une part croissante est destinée, selon la volonté de l'État, des financeurs, et d'autres acteurs, à la transition écologique, conscients que le monde se dirige vers une impasse. Par conséquent, des fonds sont injectés, généralement dans des sociétés de capitaux et principalement axés sur l'innovation technologique.
Pourtant, les acteurs de l’ESS ne semblent pas voir la couleur de ces fonds. « Nous qui sommes au cœur de ça, nous voyons passer ces centaines de millions d'euros, ces milliards d'euros. Et nous ne les voyons pas arriver vers nous. Ceci est un problème, parce que nous avons les solutions dont le monde de demain a besoin. » comme le fait remarquer Bastien Sibille, initiateur de l’opération Milliard.
Mais est-ce que cela veut dire que les personnes qui financent des projets qui ne sont pas des projets économie sociale et solidaire, n’ont pas conscience de ces limites planétaires qui sont franchies ?
Les bonnes intentions semblent pourtant être là, ils voudraient pouvoir mener la transformation, mais sans transformer le cœur du réacteur, qui est globalement une sur-rémunération de projets qui n'ont aucune valeur sociale et écologique.
Un appel à l'action pour une transition écologique juste : l'opération Milliard voit le jour
Fort de ce constat, Bastien Sibille lance en avril 2023 un appel pressant aux militant.e.s et dirigeant.e.s engagé.e.s dans la transition écologique juste. Il souhaite « mobiliser des forces civiles », appelle à s’unir pour contrer l'influence néfaste des marchés sur le vivant et obtenir un financement massif pour les actions de transition écologique juste.
Cet appel résonne auprès de nombreux citoyens et citoyennes puisque 1500 d'entre eux répondent à l'appel. Le 6 juillet 2023, un millier de personnes se rassemblent au Collège des Bernardins à Paris, marquant ainsi la naissance de l'opération Milliard.
En septembre 2023, un plan d’action élaboré par 1200 acteurs et actrices est adopté, un plan ambitieux visant à réunir 1 milliard d’euros pour financer les initiatives dédiées à la transformation écologique juste de l’économie.
Réunir un milliard d’euros pour la transition écologique : une ambition irréalisable?
Chaque année, les Français épargnent 160 milliards d’euros, portant le stock d’épargne à 6 000 milliards d’euros au 31 mars. Cependant, est-il réaliste de penser qu’on peut mobiliser un milliard d’euros de cette épargne pour financer des projets de transition écologique ? Cette ambition, bien que noble, pourrait se heurter à des obstacles significatifs.
Avant de convaincre les citoyens et les bailleurs de fonds d’orienter une partie de ce flux vers leurs projets, il est essentiel de comprendre les motivations et attentes des épargnants, des investisseurs et des financeurs, ainsi que leur perception des enjeux liés à une transition écologique juste. Il est crucial de connaître les circuits de financement et d’épargne, les critères de décision et d’orientation de l’épargne, et plus globalement, la destination de ces milliards.
L’objectif des initiateur de l’opération Milliard est d’identifier comment cette initiative peut répondre aux besoins et attentes non satisfaits des financeurs afin de mieux cibler les flux de financement. Cela implique plusieurs actions clés : d'abord, identifier les attentes des citoyens quant à leur épargne, leurs motivations et objectifs, et leur disposition à soutenir une transition écologique juste. Ensuite, comprendre les contraintes et obligations des acteurs institutionnels en matière de transition écologique et sociale, ainsi que leurs tendances et préférences dans ces domaines.
Enfin, cartographier les flux d’épargne et d’investissement pour cibler les opportunités et solutions que ces projets peuvent offrir aux investisseurs.
Au-delà du financier, une approche globale pour la transition écologique juste
Mais comme le souligne Bastien Sibille, "la feuille de route n'est pas exclusivement financière." Le mouvement s'est fixé plusieurs objectifs clés. Tout d'abord, il vise à connecter les acteurs de la transition écologique juste, c'est-à-dire ceux qui intègrent les préoccupations de justice sociale.
Cela implique de définir un récit commun de la transition, de coordonner les réseaux et de s'implanter dans divers lieux pour créer des liens entre les territoires. Ensuite, le mouvement entend renforcer les initiatives de terrain porteuses de projets de transition écologique juste. Cela passe par l'organisation de la montée en compétences financières de plusieurs milliers de projets et de citoyens, par la définition de thèses d'investissement communes et par l'accroissement de la visibilité de ces démarches.
Enfin, le mouvement cherche à étendre les actions de ces acteurs grâce aux investissements et subventions rendus possibles par le milliard alloué.
Opération Milliard : réaliste ou utopique ?
La levée d'un milliard d'euros pour financer la transition écologique et sociale est une ambition audacieuse. Cependant, plusieurs questions se posent : cet objectif est-il réalisable dans un contexte où les circuits de financement traditionnels favorisent principalement les innovations technologiques au détriment de l’économie sociale et solidaire ? Les épargnants et investisseurs seront-ils prêts à orienter une partie significative de leur épargne vers des projets à forte valeur sociale et écologique ?
Si l’Opération Milliard parvient à surmonter ces défis, elle pourrait non seulement redéfinir les priorités de financement en France, mais aussi servir de modèle pour d’autres initiatives similaires à travers le monde. Une mobilisation massive et une prise de conscience collective seront essentielles pour atteindre cet objectif ambitieux.
L’avenir d’une économie, plus juste et durable, en dépend.
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