Comme chaque automne, c'est la Fashion week à Paris avec son lot de défilés de mode tous plus extravagants les uns que les autres. L'occasion de se demander si ce secteur, particulièrement émetteur de gaz à effet de serre, a pris un tournant plus responsable. Dix ans après le terrible effondrement du Rana Plaza au Bangladesh qui avait mis au jour les pratiques délétères du secteur, les choses évoluent mais encore trop lentement.
Article par Benjamin Mathieu et William Buzy
Le visuel utilisé par "la semaine des autres modes" pour son édition 2023. Crédits photo Mara Zampariolo©
Le bilan carbone de l’industrie textile dans le monde pèse lourd, 4 milliards de tonnes d’équivalent CO2 chaque année. Ce chiffre en fait l’une des industries les plus polluantes de la planète puisqu’elle représente selon l’ADEME 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (vêtements et chaussures réunis). C’est plus, par exemple, que les émissions de l’aérien et du maritime combinés. Il faut dire que depuis vingt ans, les ventes sont en constante augmentation. La Fast fashion, incarnée désormais par la marque chinoise Shein est en plein essor. La multiplication des collections, y compris dans le domaine du luxe, avec huit fashion week par saison si l'on compte les défilés hommes et femmes, pose question. D'autant que les marques de luxe se montrent intarissables quand il s'agit de trouver des décors exceptionnels pour marquer les esprits, un peu moins quand il s'agit de faire preuve de sobriété. "De nombreuses marques de luxe passe par Bureau Betak, un organisateur qui réutilise le matériel des défilés mais ce sont souvent des marques un peu "niche", toutes ne le font pas" explique Paul Dumas, étudiant à Agroparistech, école d’ingénieur, et à l’Institut français de la mode à Paris et qui a passé six mois au Bangladesh, là où sont fabriqués une grande partie des vêtements que nous portons. "Paris Good Fashion essaie de faire passer ce message, celui de la réutilisation des matières mais aussi des marques" complète Thomas Ébélé, co-fondateur de SloWeAre. "Pour celles qui ne prennent pas ce chemin, elles prennent le risque d'un bashing sur les réseaux sociaux comme Chanel qui avait abattu des arbres pour l'un de ses défilés, même si la marque avait replanté" poursuit l'auteur du livre “La face cachée des étiquettes” aux éditions Eyrolles.
La fashion week fait travailler beaucoup de monde, le secteur est puissant et il est incontestablement moteur pour l'attractivité de Paris et de la France à l'internationale. "On est au bout d'un cycle, rien de nouveau là-dedans, on le sait tous. Il faut désormais mobiliser sur les bonnes pratiques. C'est ce que nous faisons avec la semaine des autres modes" analyse Arielle Lévy Verry, fondatrice de “Une autre mode est possible” et de la revue Hummade. Dans son livre, Thomas Ebélé explique que 78 % des Français·e·s se disent prêt.es à consommer "moins mais mieux" en donnant la priorité aux achats de mode écoresponsable et de seconde main. On a pourtant l’impression que ces intentions ne sont pas suivies d’effets aux vues de l'évolution du secteur qui explose depuis vingt ans. "En 2025, on produira trois fois plus de fibres textiles que vingt ans avant alors qu'on a bien évidemment pas triplé la population mondiale dans le même temps" complète-il. Pour Arielle Lévy, "il faut consommer mieux mais moins, travailler des matières naturelles et locales". Des changements se font sentir dans les pratiques, dûes en partie aux mobilisations de militants et à la pression du public.
Pour mieux comprendre l’impact négatif de l’industrie textile sur notre environnement, il faut remonter sa chaîne de production. Jusqu’au tout début. Et à l’origine des matières dont on fait nos pantalons, chemises ou autres t-shirts, on trouve trois types de matières premières. Les synthétiques, comme le polyester ou les fibres recyclées de bouteilles en plastique. Les naturelles végétales, comme le coton ou le lin. Les matières d’origine animale, comme la laine ou le cuir.
Toutes comportent de sérieuses limites. Les synthétiques sont fabriqués à 70% à partir de pétrole, une ressource non-renouvelable. Le coton est la matière première végétale la plus utilisée, mais sa culture nécessite beaucoup d’eau. À cause de l’irrigation des champs, la mer d’Aral, située entre l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, a perdu la moitié de son étendue et les trois-quarts de son volume.
La matière première d’origine animale pose des problèmes éthiques évidents. En témoignent les scandales à répétition concernant les élevages d’animaux à fourrure comme les lapins ou les visons. De plus, le tannage, qui consiste à transformer la matière en cuir ou en fourrure, est un procédé qui utilise des produits chimiques polluants. Les rejets d’eaux usées polluent ensuite les cours d’eau, comme la rivière Buriganga au Bangladesh, pourtant toujours utilisée par les habitants. L’industrie de la mode a également un impact sur les populations qui vivent à proximité de ses sites, mais aussi sur celles qui y travaillent. Les méthodes utilisées pour teindre ou donner un aspect délavé aux vêtements sont très nocives pour la santé des ouvriers et des ouvrières. Employés par des usines sous-traitantes, ils ne possèdent généralement aucune protection sociale. Et bien souvent, ces entreprises se trouvent dans des pays où le code du travail n’est pas le même qu’en France. Les salaires sont bas et les conditions de travail très dures. Le monde a ouvert les yeux sur ce phénomène en 2013, après l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh. L’immeuble abritait plusieurs ateliers de confection pour des grandes marques internationales comme H&M ou Zara. Bilan : 1 134 morts et 2 500 blessés.
« 12 000 marques se revendiquent éthique. Moins de 1% peuvent prétendre à notre cahier des charges »
Certaines marques ont décidé de produire autrement. Elles sont de plus en plus nombreuses chaque année à se définir « éco-responsable » ou « éthique ». Des engagements chers aux Français. Pour 65% d’entre eux, c’est un critère de choix important dans leurs actes d’achat. Mais le manque d’information de confiance sont des freins tenaces au passage à l’acte. Pour aider les consommateurs à s’y retrouver, Thomas Ebélé et Éloïse Moigno ont créé SloWeAre, un label qui référence les marques éco-responsables.
« Aujourd’hui 10 à 12 000 marques se revendiquent éthiques, et je pense que moins de 1% peuvent prétendre à notre cahier des charges. Par exemple, le groupe de potes qui décide de faire des t-shirts pour sauver les girafes. Ils vont contacter un fournisseur pour avoir des t-shirts en coton bio, ils vont faire une petite broderie, un partenariat avec un artiste, etc. C’est sympa, mais ils ne s’approprient pas une chaîne de valeur. Ils ne connaissent pas l’origine de leur matière première, ni les parties les plus importantes du processus de transformation : l’égrenage, le lavage, le filage, la teinture du coton. De nos jours, il peut y avoir jusqu’à 17 intermédiaires », explique Thomas Ébélé. Depuis trois ans, Sloweare a labellisé 70 marques. Mais le certificat n’est pas acquis, à chaque nouvelle collection, les marques doivent repasser les tests. Elles répondent à 250 questions en moyenne, et doivent fournir des justificatifs. « Nous ne validons pas un produit mais une démarche », précise le fondateur.
Pour réécouter l'émission "C'est le moment" consacrée à la mode responsable, c'est ici.
"C'est le moment" est une émission de radio de lemoment.org, diffusée tous les mercredis soir de 18:00 à 19:00 en direct sur les radio Aligre FM et Radio Campus Paris et rediffusée le samedi et le dimanche à 9:00 sur Vivre FM. L'émission est également, disponible à la réécoute sur de nombreuses plateformes de podcasts.
Comments