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Le monde associatif alerte, les Restos du coeur sont l'arbre qui cache la forêt

Dernière mise à jour : 11 oct. 2023

L'appel à l'aide lancé début septembre par les Restos a eu un fort impact médiatique. Le message était clair, sans nouvelles aides, cet acteur incontournable auprès des plus démunis pouvait tout simplement mettre la clef sous la porte. Mais c'est en fait tout le secteur associatif qui est actuellement en grande difficulté. Après le Covid, c'est désormais l'inflation qui grève lourdement les budgets.


Article de Benjamin Mathieu



Crédit photo : Emmaüs solidarité


C'est une rentrée sociale sous haute tension. Début septembre, les Restos du coeur tiraient la sonnette d'alarme. En raison de l'inflation, le nombre de bénéficiaires de leurs distributions alimentaires aux plus démunis explose. Depuis le début de l'année 2023, l'association a déjà accueilli 1,3 million de personnes, soit 100 000 personnes de plus que pour l'ensemble de l'année 2022. En cause, l'inflation qui continue de toucher durement l'ensemble de la population, rendant encore plus précaire la vie des plus démunis et touchant désormais des personnes qui jusqu'alors réussissaient encore à s'en sortir. L'appel a été entendu, notamment du côté du monde de l'entreprise avec un don de 15 millions d'euros offert par LVMH, qui a rapidement assuré que ce don ne serait pas défiscalisable et qui a été diversement accueilli par le secteur associatif.


"Moi je ne suis pas du tout dans ces polémiques", commente Olivia Bars, toute nouvelle déléguée générale de La Cloche, association qui mène une action de terrain pour créer du lien social avec et pour les personnes sans domicile fixe.

"Je le vois comme un citoyen qui vient faire un geste", poursuit-elle. Même discours du côté de Emmaüs Solidarité. Bruno Morel, directeur général de l'association, fondée par l'Abbé Pierre : "Cela ne me choque absolument pas, Emmaüs vit d'aides et de dons. À partir du moment où l'on est bien d'accord comment on va utiliser ce don et communiquer sur celui-ci, je n'ai aucun souci avec ça. J'en aurais un, si l’État nous disait de ne plus faire que des dons privés." Du côté du collectif des associations citoyennes, un regroupement d’associations qui défend la contribution des associations à l’intérêt général et à la construction d’une société solidaire, durable et participative, on se montre plus critique. Jean-Baptiste Jobard, coordinateur du collectif, trouve, lui, que le don de Bernard Arnault est "profondément choquant si on remet ça dans le contexte de l'activité de cette entreprise. Victor Hugo disait quand il était député, à la tribune de l'Assemblée nationale : "Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère." Cela nous permet de nous recentrer sur nos objectifs. Est-ce qu'on est dans un objectif de rendre supportable, de s'accommoder de la misère ou est-ce qu'on est plus ambitieux ?"


Reste que ce don, et l'aide de 15 millions d'euros annoncée par l’État (dont 10 avaient déjà été négociés avant l'appel) sont insuffisants. Autant pour les Restos que pour le reste des acteurs de l'aide alimentaire. La Banque alimentaire annonçait, elle, en début d'année aider 2,4 millions de personnes fin 2022, soit trois fois plus qu'en 2011. C'est en fait l'ensemble du secteur associatif qui subit violemment l'inflation, qui pèse lourdement sur des budgets déjà fragiles.


La tribune est passée plus inaperçue, mais quelques jours après la médiatisation autour des Restos, 1 000 associations de divers secteurs, lançaient elles aussi un appel à la Première ministre. Intitulée “Madame la Première ministre, le milieu associatif se meurt” et publiée dans le journal Libération, celle-ci est sans ambiguïté sur les difficultés : "Le cas des Restos du cœur n'est qu'une manifestation de la détresse invisible dans lequel l'ensemble de notre secteur est plongé (...) Vous avez le pouvoir de faire en sorte que le milieu associatif ne disparaisse pas. Agissez."


"A ce jour, on a reçu aucune réponse, commente Bruno Morel. L'appel n'a pas été pour rien, mais on sent du côté du gouvernement la volonté de faire des économies du côté des associations. On nous demande d'en faire plus avec moins de moyens, de rationaliser, d'être des têtes chercheuses de financement. Mais avec l'inflation, on n'y arrive plus. On réclame depuis longtemps au gouvernement de nous aider à prévoir, de mettre en place une démarche de financement pluri-annuelle." Le directeur général d'Emmaüs Solidarité n'est pas plus tendre avec les annonces du plan pauvreté présentées par Élisabeth Borne : "Le pacte des solidarités a connu plein de reports. Les annonces du gouvernement de cette semaine, c'est du saupoudrage, il ne s'attaque pas à la pauvreté. Moi, quand je suis arrivé dans ce secteur, les gens étaient protégés de la précarité quand ils avaient un emploi, désormais ce n'est plus le cas. Cet été, une étude de la fédération des acteurs de la solidarité avec l'Unicef, a annoncé que 2 000 enfants dorment à la rue en France et ça ne choque plus personne."


Olivia Bars, de la Cloche, rencontre, elle, d'autres difficultés, spécifiques à l'accompagnement des personnes à la rue : "La grande exclusion, c'est pas un domaine sexy, cela ne vend pas. Les financeurs privés et publics sont heureux de financer par l'emploi, mais dans notre domaine, c'est beaucoup plus compliqué de les embarquer. On essaie pourtant d'avoir une incarnation joyeuse, qui est fédératrice, et de faire changer de regard entre les citoyens et les personnes sans domicile qu'on accompagne." Le monde associatif a aussi du mal à valoriser ses actions auprès des pouvoirs publics. Pour Jean-Baptiste Jobard, "il faudrait démarchandiser le monde associatif. La richesse du monde associatif ne se quantifie pas par les moyens actuels d'évaluation, on ne prend pas en compte les dimensions de réciprocité par exemple. Nous nous intéressons beaucoup à un nouveau système comptable, la comptabilité CARE qui prend en compte la manière dont l'action de la structure a des effets sur l'humain, pas que les flux monétaires."


Vous pouvez réécouter l'ensemble de cette émission, diffusée le 20 septembre 2023, ci-dessous, ainsi que sur différentes plateformes de podcast (Apple podcast, Deezer, Spotify, Amazon Music, Google Podcast).


À noter que, pour cette émission, nous avons contacté le parti Renaissance et le groupe parlementaire de la majorité à l'Assemblée, pour inviter un de leurs représentants. Ces demandes sont restées sans réponses.





Tous les jours du lundi au vendredi écouter Le Moment en direct à 18h.
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