Médiasm en Seine, le festival international des médias de demain, est revenu pour une sixième édition entre les murs de Radio France mercredi. Le nouveau baromètre La Croix de la confiance dans les médias y a été dévoilé pour l’occasion, confirmant une hausse de la défiance du public. Les 200 intervenants venus parler du futur du journalisme se sont emparés de la question du renouvellement des médias pour redonner confiance en l’information.
Article d'Emma Launé-Téreygeol et de Radidja Cieslak
Dans l'immense rotonde de la Maison de la Radio, siège de Radio France, les visiteurs se pressent pour rejoindre les dizaines de conférences au programme de la sixième édition de Médias en Seine, “le festival international des médias de demain”. Ils sont presque 6 000 d’après les organisateurs. Beaucoup de professionnels du monde médiatique sont présents, mais aussi beaucoup de jeunes, dont des étudiants en journalisme, des lycéens, et même des collégiens. La ligne directrice de la journée, c'est la question du renouvellement des médias face aux mutations du monde médiatique et la hausse de la défiance du public. Le baromètre Kantar de la confiance dans les médias pour La Croix, dévoilé à l’occasion du festival, révèle en effet que 56 % des sondés pensent que les journalistes ne sont pas indépendants des pressions de l’argent et du pouvoir, soit trois points de plus par rapport à la précédente étude.
Margaux, 21 ans, étudiante en sciences de la communication à Paris 2, n’est pas étonnée. “La défiance, je la perçois au quotidien, en particulier quand on est mal informés sur les conditions de production de l’information”, constate-t-elle dans son entourage. Angélina, étudiante en journalisme à Paris-Dauphine, exprime un ressenti similaire : “Le résultat ne m’a pas vraiment surprise, en revanche le fait que les personnes de plus de 35 ans ne soient pas prêtes à payer pour de l’information, je trouve ça ultra-choquant.” Une grande majorité des Français ne sont pas prêts à payer pour des médias ou des sites d’information en ligne, 82 % d’après le baromètre Kantar, alors que 75 % des sondés déclarent pourtant suivre l’actualité “avec un grand intérêt”.
“Il faut être transparent pour solidifier un lien de confiance avec nos auditeurs”, réagit Sibyle Veil, directrice de Radio France, lors de son discours d’ouverture. L’objectif de Médias en Seine, c’est effectivement d’ouvrir les portes de Radio France aux auditeurs pour montrer comment les journalistes travaillent. Devant Apolline de Malherbe, animatrice de la matinale sur RMC, et Jean-Philippe Baille, directeur de Franceinfo, un collégien et une jeune femme les interpellent même sur la “neutralité” des journalistes. Pour le reste, les citoyens qui ne font pas partie du monde médiatique restent timides dans l’audience.
82 % des Français ne dépensent pas d’argent pour s’informer (baromètre de la confiance dans les médias Kantar - La Croix)
Le résultat du baromètre est au cœur des préoccupations lors de la table ronde qui a suivi le dévoilement de cette étude dans un Studio 104 comble, Maison de la Radio. “La situation est grave”, alerte Nathalie Sonnac, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Panthéon-Assas. “Si je pense que je peux m’informer gratuitement, c’est que je pense que l’information n’a pas de prix et donc pas de coût”, explique-t-elle, se mettant dans la peau des utilisateurs en ligne, “il faut revaloriser ce qu’est une information de qualité et se différencier. Le journaliste a une valeur ajoutée à apporter.” L’éducation aux médias et à l’information apparaît la meilleure solution pour les invités de la table ronde, Nathalie Sonnac, Jean-Philippe Baille, directeur de Franceinfo, Nicolas Charbonneau, directeur des rédactions du Parisien/Aujourd'hui en France, ainsi que Marie Boëton, journaliste à La Croix L'Hebdo. Cette dernière rappelle d’ailleurs que “l’utilité sociale du journaliste n’a jamais été aussi importante”. “On a un rôle à jouer. Il faut qu’on explique comment on travaille”, résume-t-elle.
Le défi saillant est de se renouveler pour mieux correspondre aux attentes d’un public fatigué par l’information en continu, en perte de confiance dans les médias, mais qui cherche toujours plus à s’informer. "Notre défaut, c’est d’être entre nous", confirme Paul Larrouturou, journaliste pour les réseaux sociaux de TF1 Info, interrogé lors d’une conférence sur le rôle de l’information retransmise en direct. “Les médias ont oublié qu’ils avaient des lecteurs. On est restés dans un entre-soi, on a adressé des sujets qui n’étaient pas ceux qui préoccupent, et les gens se sont détournés”, explique, lui aussi, Nicolas Charbonneau, directeur des rédactions du Parisien/Aujourd'hui en France. Le constat est partagé par Thomas, étudiant en communication à Paris 2 : “Même dans le public présent aujourd’hui, c’est encore un entre-soi.”
Réinventer la production de l’information, renouer avec le public
Comment se réinventer pour redonner confiance en l’information ? Il s’agit d’abord de reconquérir un jeune public, désormais client des réseaux sociaux et du format court. Lors d’une table ronde “Faut-il parler jeune pour toucher les jeunes ?”, la salle est pleine à craquer, avec des étudiants assis par terre. “Il est crucial d’investir les plateformes comme Tiktok et Instagram”, observe Estelle Cognacq, directrice du numérique à Franceinfo. Depuis deux mois, le podcast Ça dit quoi ? animé par Léo Tescher a été lancé sur la chaîne, et cumule 290 000 écoutes au mois d’octobre. Chaîne du service public, Franceinfo veut transmettre l’actualité, mais avec moins de jargon, et plus de punch que dans les formats destinés aux adultes. “On évite les termes complexes, ou alors on prend le temps de les expliquer, précise Estelle Cognacq. On ne veut pas tomber dans la caricature du langage jeune.”
Aujourd’hui, d’autres jeunes médias ont fait le pari du numérique, comme Hugo Décrypte ou le jeune compte Instagram FastInfo, dédié au décryptage de l'actualité pour les jeunes sur Instagram, que le fondateur Lucas Lescop est venu défendre mercredi à Radio France. Helena est journaliste pour Inter, un média vidéo. "On est présent dans plusieurs pays d'Europe. Le média existe depuis 3 ans, et les équipes se sont bien agrandies depuis." Dans le sillage de Brut, Inter mise tout sur l'image, et s'adresse à un public connecté, les 18-35 ans. Créé en partenariat avec France 24, il s'intéresse à des sujets de société avec une ligne directrice, donner la parole aux jeunes.
Les ventes des journaux papiers déclinent et le public dans son ensemble apparaît concerné par cette stratégie de séduction. Le Figaro bascule par exemple vers de nouveaux formats avec sa chaîne télévisée, créée cette année, même si “la marque et la ligne éditoriale restent identiques”, déclare Nicolas Feuillée, directeur du journal. Pierre Louette, directeur du groupe Les Echos-Le Parisien veut renouer avec le public grâce à des événements inédits : “On essaye de se diversifier dans des activités cohérentes avec notre orientation journalistique, comme VivaTech, [événement sur l’actualité de la technologie, ndlr], et Médias en Seine.” Montrer comment les journalistes travaillent et l’éducation aux médias sont les solutions les plus retenues par les intervenants du festival pour redorer le blason de l’information.
Dans une même démarche sont organisés vendredi 30 novembre les États généraux de la presse indépendante, à l’appel de plus de 80 médias et collectifs de journalistes indépendants, en réponse aux états généraux de l’information lancés par l’Élysée en juillet dernier. Ils sont voués à défendre la liberté d’informer, et permettre à tous de bénéficier d’une information libre, indépendante et de qualité. Comme les organisateurs l’annoncent d’emblée, “ces États généraux de la presse indépendante ne sont pas uniquement une affaire de journalistes parlant entre journalistes”, et peut-être apporteront-ils d’autres réponses à cette crise de confiance des médias.
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