La réappropriation alimentaire, l’avènement de l'ail
« Mesdemoiselles, nous venons vous faire perdre vos accents et le goût de l'ail »
Ainsi, les jeunes filles étaient-elles accueillies par la mère supérieure dans les pensions parisiennes dans les années cinquante.
Car l'ail a une place à part, avec ou sans accent, dans la table française. Le mépris aristocratique sur ce légume condiment est du passé, nous ne sommes plus au moyen-âge où les seigneurs appelaient les gens du peuple des « mangeurs d'ail » (aujourd'hui ils les appelle les sans-dent ou Jojo). Car il y va de la lutte des classes dans l'histoire de l'ail à travers les temps. Mais aujourd'hui les sciences rebattent les cartes et changent la donne, car l'ail n'est pas un aliment comme un autre.
Car l'ail donne du goût, beaucoup de goût, mais l'ail fait sentir l'ail, et sentir l'ail c'est sentir le soufre qu'il contient, dans l'haleine, la peau, le sang. L'ail est une rose qui pue, et cette plante du diable, qui éloigne les démons, a de plus sa partie comestible sous terre, on mange quelque chose qui ne voit jamais la lumière et qui sent pendant des jours et des jours. Satan, sors de cette gousse !
Mais le Sud en a fait son parfum, avec l’aïoli, les tomates provençales, la brandade de morue qu’elle soit nîmoise ou sétoise ou le cassoulet, l'ail se pose au centre du goût. C'est le Bon avec un grand B et cette cuisine fait rayonner la France dans le monde et comme à Babylone ou dans l’Égypte ancienne, nos civilisations raffolent à nouveau de la bête.
Le temps a enfin effacé la contre-révolution lancée dans l'empire romain où des tests étaient réalisés à l'entrée du Forum pour vérifier la non consommation préalable d'ail. Sus aux odeurs ! Les gens de bonnes morales à Rome ne consomment pas l'ail, ne consomment pas des aulx. Que ceux qui en consomment restent dans les champs ! Et ainsi pendant des siècles le choux, la blette, l'ail est laissée à ce peuple qui pue, loin de la ville et de ces cénacles entre gens civilisés et qui sentent bons.
Mais aujourd'hui la science a trouvé, beaucoup. L'ail contient de l'allicine qui «pourrait être la clé d'une conception de médicaments durable répondant aux graves problèmes liés à l'émergence croissante de souches bactériennes multirésistantes »1. Un milligramme d’allicine est 15 fois plus puissant que la pénicilline, c’est une des molécules présentes dans l'alimentation qui a un pouvoir anticancéreux des plus puissants. Mais dans l'ail, il y aussi des antioxydants, des composés sulfurés, des vitamines A, B1, B6, C, E et K et surtout une source de minéraux et oligoéléments extraordinaires : iode, fer, calcium, germanium, magnésium, cadmium, chlore, cuivre, zinc, phosphore, potasse, manganèse, césium, sodium, souffre. Une montagne d'or pour notre corps ! Tout ça en quantité car l'ail contient 60% d'eau contre 90% en moyenne pour les légumes frais.
Pline l'ancien nous l'avait dit «l'ail neutralise tous les venins, guérit la lèpre, l'asthme et la toux ».
Oui, l'ail est le roi des « alicaments » antiseptique, bactéricide, dépuratif, diurétique, vermifuge, anti-cancéreux, fébrifuge, aphrodisiaque, hypotenseur et de plus, il pousse sur un sol désertique, fatigué. L'ail est une plante de plein soleil, de désert, à n'arroser qu'en canicule ! Tout ça la mère supérieure ne le savait pas.
Oui, l'ail a une carte à jouer pour que les transitions adviennent. En 1995, Jacques Chirac devenait président, en scandant : « mangez des pommes ». Aujourd'hui il y va de la santé, de la souveraineté alimentaire mais aussi de la reconnaissance mémorielle envers les stigmates passés infligés aux mangeurs d'ail. Petite astuce DIY, buvez le matin à jeun l'eau filtrée d'une gousse d'ail écrasée, vigueur assurée !
Frédéric Ghiglione
1 Janská P, Knejzlík Z, Perumal AS, Jurok R, Tokárová V, Nicolau DV, et al. (2021-03-19) « Effet des paramètres physico-chimiques sur la stabilité et l'activité de l'alliinase d'ail et son utilisation pour la synthèse d'allicine in-situ » Bibcode:2021PLoSO..1648878J. doi:10.1371/journal.pone.0248878. PMC 7978267. PMID 33740023
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