CinéMutins a donné rendez-vous aux curieux jeudi 5 octobre pour une projection-débat sur Julian Assange, en compagnie du fondateur de Mediapart Edwy Plenel. Le documentaire intimiste a été suivi d’un débat houleux sur le traitement médiatique de l’affaire.
Par Emma Téreygeol
Les esprits se sont échauffés jeudi 5 octobre à Césure, à l’occasion d’une soirée spéciale autour de Julian Assange, le fondateur du site de divulgation WikiLeaks, organisée par la plateforme de VOD CinéMutins. Assis en rond autour de tables de pique-nique en bois dans la « cantine » du tiers-lieu, un lieu de restauration solidaire haut de plafond à la décoration épurée et boisée, le public a assisté à un « étrange » débat animé par David Dufresne du média Au Poste. La projection du documentaire intimiste de Ben Lawrence sur le combat du père d’Assange pour la libération de son fils, emprisonné depuis 2019 en Angleterre et menacé d’extradition vers les Etats-Unis pour diffusion de documents classés secret-défense, a permis au public d’interpeller les invités de la soirée. L’audience a voulu revenir sur le traitement médiatique, parfois controversé, de l’histoire du militant, malgré l’enjeu très présent de la préservation de la liberté de la presse. « Je suis étonnée de ne toujours pas avoir vu son portrait dans Mediapart », interroge une femme, droite sur ses pieds dans l’assemblée, accompagnée par des murmures d’approbation. Face à eux, les invités, dont Edwy Plenel, mais aussi le député LFI Arnaud Le Gall, porteur de la proposition de résolution de la NUPES visant à accorder l’asile politique à Assange en France, ou encore Maryse Artiguelong, membre du bureau national de la Ligue des Droits de l’Homme, sont circonspects. « Ne confondez pas Mediapart et Julian Assange, nous avons publié sa signature », se justifie Edwy Plenel, qui vient de lancer un appel à Joe Biden pour Assange dans Mediapart.
Un public acquis à la cause, ou presque
La salle était comble de militants partisans de la libération de Julian Assange, comme cette femme aux cheveux roux flamboyants, assise au fond de la salle, se disant « communiste », et qui avoue être « venue 28 fois à Londres » au moment des audiences du fondateur de WikiLeaks devant la justice britannique. « Pourquoi les politiques et les médias n’étaient pas là ? », s’insurge-t-elle, une Constitution de la République française brandie dans sa main. Le traitement médiatique de l’affaire WikiLeaks a en effet pu être empreint de scepticisme en 2010, au moment où le site publie « la plus grosse fuite de documents militaires secrets de l’Histoire » sur des crimes de guerre commis par les États-Unis en Irak. Le travail de Julian Assange est à l’époque obscurci par des zones d’ombre sur ses méthodes de travail, son passé, et ses idées politiques, présentés comme opaques dans les médias.
Les invités de la soirée débat dans l’ordre de gauche à droite : le présentateur David Dufresne, journaliste pour Au Poste, Maryse Artiguelong, membre du bureau national de la LDH, Charlotte Clavreul, porte parole du Fonds pour une presse libre, Arnaud Le Gall, député LFI, Edwy Plenel, de Mediapart et Laurent Dauré du Comité de soutien Assange (crédit : Danae Moyano Rodriguez)
Des étudiants en audiovisuel de la Sorbonne Nouvelle, désirants rester anonymes, avouent ne pas comprendre la tournure du débat. Assis derrière le bar dans la pénombre, ils regardent la scène à la fois intéressés et surpris. « On est satisfaits de la réponse d’Edwy Plenel. On ne demande pas aux médias d’être parfaits », expliquent-ils. Le député Arnaud Le Gall en profite pour réagir et plaide de son côté pour « l’élargissement du combat ». « Les Etats-Unis ne lâcheront pas. Si on laisse faire ça, c’est terminé », déplore-t-il en dénonçant les menaces qui pèsent sur un journalisme libre et indépendant dans le monde, tout comme le père de Julian Assange, John Shipton. « S’il tombe, le journalisme tombera aussi avec lui », dit-il dans le documentaire.
Une question centrale pour le droit d'informer
Laurent Dauré du Comité de soutien Assange était aussi présent pour discuter de la situation actuelle du fondateur de WikiLeaks, toujours en détention provisoire au Royaume-Unis. Début juin 2023, la Haute Cour britannique a rejeté la demande de Julian Assange de faire appel de son extradition vers les États-Unis. Sa défense a déposé un nouveau recours, le dernier possible outre-Manche. S’il est extradé vers les États-Unis, il encourt une peine de cent soixante-quinze ans d’emprisonnement, une sanction inédite dans le monde du journalisme et des lanceurs d’alerte.
Une situation dont l'écho est particulier alors que viennent de se lancer en France les États généraux de l’information. Pendant neuf mois, plusieurs acteurs du monde médiatique débattront des aspects de la production de l’information, avec à l’issue d’éventuelles propositions de réformes. Une consultation à laquelle une partie de la profession, dont Mediapart, reste réticente.
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